L’accès au marché du travail pour les demandeurs d’asile : un véritable parcours du combattant
|Emma BEDOUIN et Lucie BUISSON, étudiantes en Master 2 Droit International et Européen à la Faculté de Droit, d’Economie, et de Gestion, Université d’Angers
Le demandeur d’asile en France a-t-il effectivement le droit de travailler ? C’est une question récurrente qui dénote un vrai besoin d’explication.
Le droit au travail pour les demandeurs d’asile est consacré par l’Union européenne aux articles 15 et 16 de la directive « accueil » du 26 juin 2013. Il se matérialise par un accès au marché du travail « dans un délai de neuf mois » à partir de la date d’introduction de la demande d’asile. Mais une grande marge de manœuvre est laissée aux Etats membres, qui sont libres de fixer les conditions d’accès au marché du travail en fonction de leur droit national.
En France, l’article L744-11 du CESEDA autorise le demandeur d’asile à travailler si l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA) n’a pas statué sur la demande d’asile dans le délai imparti de 6 mois. Une fois ce délai écoulé, le demandeur doit se rendre auprès de la préfecture de son domicile afin de renouveler son attestation de demande d’asile. Il peut alors directement déposer une demande d’autorisation de travail auprès de la préfecture. Celle-ci doit être accompagnée d’une promesse d’embauche ou d’un contrat de travail. Dans le cas où le demandeur d’asile a déjà fait renouveler son attestation à la préfecture : c’est au futur employeur de se tourner vers la DIRECCTE pour demander une autorisation de travail.
L’administration dispose d’un délai de deux mois pour donner son accord. Si le demandeur n’a pas de réponse dans ce délai alors l’autorisation est réputée acquise. Celle-ci est alors valable jusqu’à ce que le récépissé de demande d’asile prenne fin, c’est-à-dire 6 mois renouvelable jusqu’à la décision de l’OFPRA.
En somme, le demandeur d’asile a un droit effectif au travail sous réserve de certaines conditions. Cependant dans la pratique, l’accès au marché du travail pour ces derniers relève d’un véritable parcours du combattant.
Les obstacles souvent liés à la procédure découragent tant les demandeurs d’asile que les employeurs.
Le premier problème est celui de la complexité de la procédure. Les employeurs, mal informés, n’ont pas connaissance de la possibilité d’embaucher un demandeur d’asile. Et quand bien même ils en ont connaissance, ils ne recrutent guère d’étrangers car la procédure est trop longue et exigeante. Ils sont découragés, très peu vont jusqu’au bout de la procédure sans l’accompagnement d’organisme d’aide spécialisé.
Le second problème est celui du principe de l’opposabilité de la situation de l’emploi. En théorie, le demandeur d’asile peut exercer la profession de son choix. En pratique, l’administration peut refuser l’autorisation de travailler si elle estime que le niveau de chômage dans le secteur dans lequel il postule est trop important. Cette autorisation est à la discrétion de chaque préfecture.
En fait, le demandeur d’asile ne pourra effectuer que des emplois sous tension ou des emplois ponctuellement sous tension, dans les secteurs manquant de main d’œuvre. Une liste est dressée pour chaque région. Parmi les métiers figurants sur celle des Pays de la Loire, on trouve à titre d’exemple, géomètre ou informaticien expert. Les difficultés que posent ces listes sont liées à leur actualisation. En effet, la liste des emplois sous tension des Pays de la Loire n’a pas été mise à jour depuis 2008 et l’OCDE constate d’ailleurs que seuls 15 % des métiers inscrits sont encore sous tension sur l’ensemble de la France. Pourtant, de nouveaux secteurs tels que le service à la personne ou la santé sont à pourvoir.
Le gouvernement, étant conscient de ces difficultés, a pour ambition de refondre les modalités de recrutement des travailleurs étrangers. Jeudi 28 novembre 2019, le ministère du travail a lancé la concertation avec les partenaires sociaux. L’ambition est celle d’établir une nouvelle liste des métiers sous tension, pour lesquels le recrutement d’étrangers est facilité car l’employeur n’aurait plus besoin de prouver qu’il n’a pas réussi à pourvoir le poste en France. Jean-Christophe Dumont, économiste et expert des migrations internationales auprès de l’OCDE précise que
Pour chaque métier en tension, on va indiquer une quantité de titres de séjour en deçà de laquelle on n’a pas besoin de prouver la situation de travail ». De même, la procédure de délivrance des autorisations de travail de main-d’œuvre étrangère doit être simplifiée et ses critères revus.
Il est indéniable que pour le demandeur d’asile, le droit au travail est un aspect essentiel de son intégration et de sa capacité à subvenir seul à ses dépenses. De même, la France gagnerait à faciliter l’accès au travail des demandeurs d’asile puisque cela évite qu’ils aient recours à des travaux informels et dangereux. En même temps, cela diminuerait le coût de l’aide publique supportée par l’Etat. Tout porte à croire que permettre aux demandeurs d’asile d’accéder au marché du travail le plus aisément possible profiterait à la fois à ces personnes et à la société en général.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
lighthouseua (25 mai 2020). L’accès au marché du travail pour les demandeurs d’asile : un véritable parcours du combattant. The Lighthouse. Consulté le 27 mars 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/qw6s